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Le vin, ça fait au moins 30 ans que les Français n’y connaissent rien

"Tu comprends, la délicatesse de la bulle révèle l'alchimie du terroir argilo calcaire et du chardonnay" (DR. www.wiine.me)
« Tu comprends, la délicatesse de la bulle révèle l’alchimie du terroir argilo calcaire et du chardonnay » (DR. www.wiine.me)

L’image de la France reste, encore aujourd’hui, toujours intensément rattachée à celle du vin. Pourtant, une majorité de Français se déclarent « novices » et non connaisseurs en la matière. Nul ne serait prophète en son pays ? Depuis 30 ans, chaque année, dans la patrie de Garguantua et de Dom Ruinart, des dizaines de milliers de néophytes, de curieux, d’amateurs plus ou moins éclairés…  se rendent dans les écoles d’initiation ou de perfectionnement à la dégustation oenologique. Retour sur un phénomène culturel.

Un anglais au secours de la culture du vin

Avant les années 80, nulle école de dégustation de vin ou confidentielles prodiguant ce que l’on n’appelait pas encore cours d’oenologie n’existait véritablement. Non loin de La Madeleine, à Paris, existait, pendant un temps, une cave, sous la houlette du célèbre marchand et expert en vin britannique Steven Spurrier où il animait également des cours de dégustation.  Mais point de Français dans cet endroit situé non loin de l’Ambassade américaine. A l’académie du vin , les cours étaient destinés à un public d’étudiants ou d’hommes d’affaires anglais, américains, voire japonais qui souhaitaient mieux comprendre l’univers des vins français sans pourtant en parler un mot.

Parce qu’un Français, voyez-vous, était comme génétiquement attaché à son terroir viticole, il possédait de façon innée la connaissance du vin, coulant dans ses veines depuis plus de deux millénaires. Vous interrogiez un quidam, et lui demandiez s’il s’y connaissait en vin, vous étiez certain d’obtenir une réponse ressemblant fortement à « Vous savez, mon gendre est receveur des postes à Libourne, alors le vin, je connais bien ! ».

Puis voilà, Jacques Vivet, décide en 1982 de créer son école de dégustation, à Paris, non loin du Sénat, en face du musée du Luxembourg, visant un public francophone. Le succès fut immédiat. Des demandes, provenant de Français de tous horizons, affluèrent bientôt afin de découvrir l’univers du vin et de la dégustation oenologique.

Depuis cette époque, Jacques Vivet fait remarquer que « les profils des vins ont beaucoup plus changés que ceux des gens ». En 30 ans, les attentes des clients, elles, n’ont pas véritablement évoluées. A peine sont-ils un peu plus curieux. La plupart d’entre eux, conscients de ne rien y connaître, viennent pour apprendre, en quelques séances, les mots pour décrire leur sensations. Vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne, ceux que l’on sert dans les dîner en ville « où ont porte beaucoup plus d’attention à l’étiquette de la bouteille qu’au goût du vin » sont ceux qui attirent le plus a priori.

Bien souvent c’est un père qui accompagne son fils, cherchant à combler l’absence de transmission de notre savoir patrimonial par un cours suivi à deux. Et n’est pas toujours le plus connaisseur celui qu’on croit ! Venus pour apprendre à déguster, les participants de l’école de dégustation de Jacques Vivet repartent comme il le dit avec malice, « curieux et gourmands » ouverts à d’autres vins. Ces cours de dégustation deviennent ainsi une sorte de passage initiatique vers la culture amoureuse du vin.

Le World Wine Web : porte d’entrée des générations Y

Chez les plus jeunes consommateurs, l’ambiance un peu trop « old school » des salles de classes de dégustation cède le pas au Web. Des jeux en ligne permettant d’acheter son vin, comme Vinoga, aux coffrets de dégustation de vin pédagogiques (Le Petit Ballon, My viti box, Vinify…), les approches en lignes rivalisent d’inventivité. Le public cible est bien évidemment hyper-connecté, et bien plus jeune que le traditionnel amateur de vin « mâle, mûr, aisé, chiant qui se la pète ». Ces consommateurs trentenaires, conscients de leur ignorance, curieux, « veulent découvrir et comprendre le vin sans se prendre la tête », comme le dit Nina Izzo, en charge de la stratégie social média d’AOC Conseil et auteur d’un petit guide « Développer sa marque Vinicole » publié aux éditions Féret.

Ce qui prime, dans la communication du savoir en ligne, c’est ce qui est accessible et léger ; « plus c’est décalé, moins c’est sérieux et plus c’est vu » ajoute-t-elle. Le Web est finalement, selon la jeune femme, une façon pour ce public de la génération Y de mettre le pied à l’étriller. D’abord, Youtube et les réseaux sociaux, puis, dans un second temps, pour certains, vient l’envie de prendre des cours physiques, afin de mieux comprendre la notion de cépage, s’y retrouver dans la complexité des appellations françaises et identifier les spécificités des grandes régions viticoles.

Mais les cours traditionnels de dégustation sont souvent perçu comme moins cool, sans le côté fun. L’ouverture de cette génération sur le monde, ses rencontres avec des personnes de tous pays et horizons lui à fait prendre conscience que l’univers du vin pouvait être moins poussiéreux, plus jeune, branché et décontracté. Comme toute génération, celle d’aujourd’hui rejette les codes des anciens. Elle préfère aborder le vin dans un cadre plus ludique, moins sérieux. D’où le succès des évènements ludiques et branchouilles autour du vin, liant musique, art, gastronomie et le vin.

Les Yuccies et les vins Bio contre l’hygiénisme et l’ignorance

Outre atlantique, le vin est beaucoup moins sacralisé, et c’est cette jeune génération de trentenaires hyper connectés qui est le cœur et le moteur de la consommation du vin. C’est également le constat d’Olivier Magny, trentenaire au look d’éternel adolescent, fondateur d’Ô Château, une école de dégustation qui s’est spécialisée dans la cible des touristes étrangers de passage à Paris. Selon lui, on assiste à un renversement complet de la connaissance du vin : les anglo-saxons, qui n’y connaissaient pas grand chose il y a 10 ans, ont désormais un bagage souvent beaucoup plus solide en matière de connaissances oenologiques que les Français, « qui tournent le dos à leur propre culture ».

Les Français assistent une fois ou deux dans leur vie à un cours, lisent très peu d’articles sur le vin, visitent rarement des domaines viticoles. La faute au message politiquement correct et aux lois limitant la communication sur le vin ? C’est une des explications selon Olivier Magny, pour qui la croisade hygiéniste qui criminalise le vin (dont l’ANPAA est la para-administration fer de lance, NDLR). La faute également à une viticulture qui, selon lui, a négligé l’environnement.

Un espoir tout de même dans la jeune génération, ces trentenaires nourris aux séries américaines où le vin est bu par des gens jeunes, citadins, branchés et sympas. Bobos, hipsters et yuccies (*) cassent les codes « à la papa » et rafraîchissent la consommation et la culture du vin. Les mouvements « foodies » nés outre atlantique, en réaction à la surconsommation de produits agroalimentaires sans goût issus d’une agriculture industrielle intensive, font tâche d’huile en France, il suffit de constater le rythme de créations des bars à vins branchés et « natures » à Paris ou ailleurs.

Le vin comme « retour à la terre », une façon pour les nouvelles générations de buveurs français de se réapproprier leur culture, en quelque sorte. Il serait vraiment dommage de la laisser aux Anglais.

(*) : yuccie : variante plus propre et mieux peignée du hipster, au poil plus court, travaillant le plus souvent dans une start-up.