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Le vin fait son cinéma : entretien avec Cédric Klapisch, réalisateur du film « Ce qui nous lie »

Cédric Klapisch - Le Vin et le Vent (.DR)
Cédric Klapisch – Ce qui nous lie (.DR)

Prochain film du réalisateur Cédric Klapisch, « Ce qui nou lie »  tourné au cœur des vignobles de la côte de Beaune, racontera l’histoire de Jean, de retour en Bourgogne après 10 ans d’absence, rappelé auprès de son père vigneron, mourant. Au fil des saisons, au rythme de la vigne et des étapes de la vinification, avec sa sœur et son frère, ils se poseront la question de la sauvegarde du domaine familial. La fin des vendanges, à la mi-septembre, était l’occasion de s’entretenir un moment avec le réalisateur.


Wine & The City : Vous venez de terminer la première partie du tournage, au cœur des vendanges, verdict ?

Cédric Klapisch : Depuis le début de ce projet, je voulais filmer une partie sous forme de documentaire, non scénarisée. Les producteurs nous ont fait confiance et on est parti sur cette idée de filmer la réalité des vendanges, et je dois dire que ce qu’on a filmé, c’est une réalité incroyablement riche. Beaucoup plus riche ce que j’aurais pu écrire au préalable dans le scénario. C’est des choses que l’on ne peut pas prévoir et qui se déroulent malgré vous. Des choses magiques.

Abbaye de Morgeot - Bourgogne
L’Abbaye de Morgeot, visible depuis le domaine des ducs de Magenta, où sont filmées une partie des scènes d’intérieur (© Wine and the City)

W&C : Mais tout n’est pas terminé, le film s’étalera sur un an de tournage non ?

CK : Oui, le film s’étalera sur un an, au fil des saisons, jusqu’au printemps prochain. C’est une idée que nous avions dès le début avec Michel Baudoin (Ndlr : photographe de la région), rythmer l’évolution des personnages au rythme de l’évolution des saisons et de la vigne. La prochaine étape, c’est de filmer les couleurs des vignes de Meursault pendant l’automne.

Cédric Klapisch au coeur des vignes de Meursault, pour son prochain film "Le vin et le vent" (DR)
Cédric Klapisch au coeur des vignes de Meursault, pour son prochain film « Le vin et le vent » (DR)

W&C : Les paysages viticoles, c’est ce qui vous a poussé à faire un film sur le vin ?

CK : Une raison qui m’a poussé à faire ce film, en effet, est liée aux paysages. J’ai toujours aimé les paysages viticoles, parce qu’on ne sait pas si c’est le travail de la nature ou celui de l’homme. Faire du vin c’est à la fois une mise en valeur de la nature mais également le travail de l’homme. Finalement, je fais toujours des films sur les gens, le travail, l’activité humaine… Et je trouve que le vin est une métaphore du travail humain, de l’activité humaine.

W&C : Pour vous ce film devait être tourné en Bourgogne, pourquoi  ?

CK : Je crois que le monde du vin et celui du cinéma ont de nombreux points communs. Quand on fait du cinéma en France, on fait de l’artisanat. Comme quand on fait du vin, spécialement en Bourgogne. Par exemple, à Meursault, il y a une centaine de personnes qui font du vin et le vin de Bouzereau n’est pas le même que celui de ses voisins. Chacun a une personnalité qui s’exprime dans le vin. Il y a donc également une notion d’auteur dans l’élaboration des vins.

Pour moi, la Bourgogne est vraiment la métaphore du vin. Dans le bordelais, c’est devenu industriel, il n’y a plus la notion d’auteur ; les gens sont au service d’un château, d’une marque… Alors qu’en Bourgogne, la notion de vigneron est plus complète, où le vigneron possède à la fois une connaissance de la viticulture et de la vinification, car les équipes sont beaucoup plus réduites dans les domaines bourguignons.

Le cinéma et le vin, ce n'est pas que les vignerons stars, c'est aussi les hommes de l'ombre, comme Charles par exemple (©Wine and the City)
Le cinéma et le vin, ce n’est pas que les vignerons stars, c’est aussi les hommes de l’ombre, comme Charles par exemple (©Wine and the City)

W&C : A propos d’auteur, quel est le rôle de Jean-Marc Roulot ?

CK : Je pense que ce film n’aurait pas été possible sans Jean-Marc. Premièrement, il nous aide sur le scénario énormément. Il revoit les gestes techniques ; les mots également, il a lu tous les dialogues et les a corrigés. Il est aussi acteur (ndlr : JM Roulot joue Marcel, l’ouvrier en chef du domaine). Enfin, mes trois acteurs, qui sont des jeunes vignerons dans le film, ont eu besoin de plein d’informations sur cet univers. Jean-Marc leur a transmis des milliers de trucs, comme la façon dont en sent et on tient le verre lors de la dégustation, mais aussi sur la manière dont on fait le vin.

Enfin, ce qui est le plus important selon moi, c’est ce qu’on tourne chez lui, dans ses vignes. Ce film est un incroyable mariage entre la fiction et le documentaire. Ce que personnifie Jean-Marc, à la jonction de ce mariage, parce qu’il est à la fois acteur et vigneron.

Bourgogne blanc de Jean-Marc Roulot
Parce qu’on allait pas parler de l’homme sans parler d’un de ses vins ! Non mais ! Bourgogne blanc, 2010, Domaine Roulot. Vif, complexe, avec des notes minérales, fumées, et très long en finale (© Wine and the City).

W&C : Les paysages, les hommes, et la place du vin dans le film ?

CK : C’est un film sur le vin. C’est pour ça que je voulais que le mot vin soit présent dans le titre (NDLR, le titre initial envisagé était « Le vin et le vent »). Un exemple : une des scènes que nous venons de tourner aujourd’hui se déroule le jour de l’enterrement du père. Deux bouteilles dans les mains, Jean propose « Bon allez ! On va boire un coup ? » en rapportant les vins du père et du grand-père. Puis ils dégustent, et c’est comme si le père continuait à exister au travers du vin. Il y a le travail d’une vie dans un verre de vin. Une odeur, un goût, renvoie à une personnalité. C’est à la fois le travail d’une vie et une personnalité qui sont contenues dans un verre de vin.

Ce que je voulais montrer également, dans ce film, c’est que le vin c’est à la fois quelque chose de très sophistiqué, une boisson sophistiquée, mais également une boisson qui fabrique l’ivresse. Le vin est donc un produit profondément humain car l’être humain et profondément rationnel et irrationnel.

Dans la rédaction du scénario, on s’est donc référé à la mythologie ; le vin, c’est en même temps Apollon et Bacchus. Apollon pour le côté solaire et sophistiqué, Bacchus pour le côté irrationnel, celui de l’ivresse.

W&C : Mettre en scène l’ivresse, n’est-ce pas un peu incorrect aujourd’hui ?

CK : On critique beaucoup l’ivresse, et oui, l’alcoolisme est un vrai problème. Mais j’aurais tendance, moi, à positiver l’ivresse au sens « baudelairien » du terme. L’ivresse a selon-moi quelque-chose de profondément humain et poétique. Il y a quelque-chose à valoriser dans cette ivresse. Elle rapproche les gens, les fait parler. Et il y a une certaine beauté là dedans.

C’est finalement ce que j’ai voulu montrer dans ce film. C’est un film qui positive le vin et l’ivresse. Alors, oui il faut faire attention, mais ça fait aussi partie de la vie.

 

PS : merci beaucoup à Charles pour m’avoir mis en relation avec l’équipe du film et permis d’entrevoir l’envers du décor.

[Edit] : le titre original du film avant la sortie devait être « Le vin et le vent », remplacé désormais par le titre officiel du film.