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Du sel pour assouplir les tanins des vins rouges ?

Le sel de vin est au vin ce que le sel de baleine est à la baleine.
Le sel de vin est au vin rouge ce que le sel de baleine est à la baleine bleue.

Selon Nathan Myhrvold, touche-à-tout provocateur et « génie » multi-diplômé à en faire pâlir l’X-énarque moyen, ajouter une touche de sel dans les vins rouges tanniques permettrait d’adoucir leur structure en rééquilibrant les saveurs ressenties en bouche. Cette idée lui serait venue à la fin d’un repas copieusement arrosé (comme la plupart des grandes idées qui augmentent d’un cran le QI moyen de l’humanité).

Quoi qu’il en soit, cette idée saugrenue s’accroche-t-elle à des bases solides ? La vaste littérature sur les accords mets et vins n’est pas tout-à-fait d’accord sur ce sujet… Pour faire simple, disons que nous opposerons une petite minorité à la grande majorité d’experts qui pensent globalement le contraire…

Que nous disent les experts à ce sujet ? Dans « Le Goût du Vin« , D’Emile Peynaud (La référence en matière d’art de la dégustation, pour les puristes…) les accords mets et vins tiennent une place ténue. Il y conseille cependant de marier les viandes riches en protéines aux vins tanniques. Rien sur le sel. L’Italien Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004, dans son ouvrage très didactique « Savoir marier le vin » conseille d’associer les plats salés à des vins « tout en rondeur » riches en alcool pour enrober le sel… Rien à voir avec les vins tanniques donc. François Chartier, sommelier québecois iconoclaste, auteur de l’ouvrage étonnant et instructif sur les accords « Papilles et molécules » recommande quant-à-lui de marier les viandes rouges riches et onctueuses avec des vins jeunes et tanniques. L’explication physiologique communément admise (on a même utilisé un synchrotron pour le prouver…) est que les tanins s’agglomèrent en bouche avec les protéines de la salive, provoquant la sensation asséchante. Les protéines animales des viandes riches et savoureuses (ou des sauces riches) viendraient donc atténuer cet effet.

A bas les règles anciennes et poussiéreuses, oui aux idées nouvelles ! s’exclame pourtant une nouvelle avant-garde. A la tête de la révolte, Tim Hanni (Américain, Master of Wine) dont les écrits ont très certainement inspirés Nathan Myrvold. L’illustre expert déclare que la saveur salée augmente la sensation de rondeur (lien en anglais…), de richesse et de suavité en bouche… Son autorité est telle qu’elle fait désormais référence dans les cours du WSET (organisme londonien qui jouit d’une relative autorité internationale dans le domaine de la connaissance du vin). Ainsi, les aliments salés devraient être mariés avec des vins tanniques, afin d’obtenir une perception plus agréable en bouche… Bref, l’exact contraire de ce que recommande la grande majorité des autres auteurs. Pourquoi pas non plus, les lardons ou grattons de canards fonctionnent très bien sur les vins tanniques par exemple. Le Madiran sur des anchois est peut-être moins convaincant.

Cela étant, aucune étude à caractère scientifique ne semble disponible, à ma connaissance, pour illustrer ce débat. De part et d’autre, tout est affaire d’empirisme (usage) et d’arguments d’autorité basés sur l’expérience (et l’expérimentation dans le cas de F. Chartier par exemple) et la renommée des auteurs. Comme de toute façon, en matière de goût, tout est affaire d’éducation, d’expérience et surtout de subjectivité, tout ce monde a peut-être finalement raison.

Si vous aimez boire un Pauillac en shot avec du sel et du citron, libre à vous !